Avec l'aimable
autorisation de Julie Marchal (photos et textes)
KEMAR,
UN
POINT C'EST TOUT
Qu'importe la douleur, il préfère un bouquet de rictus
à la place des fleurs...
Rescapé de feu No One is Innocent, Kemar ne s'est pas égaré
dans le confort stérile de son tour de force "La Peau"
; le groupe a splitté au moment de sa consécration. La
complaisance n'étant pas son fort, Kemar reprend tout à
zéro quitte à décevoir ceux qui l'attendaient ailleurs.
Son premier album en solo "Prénom Betty" oscille entre
introspection et rétrospective professionnelle.
Onze titres confidentiels salués unanimement par la critique,
une tournée qui démarre en force ; Kemar, une bombe à
retardement.
Alors
que certains font un tube et restent sur le carreau, d'autres s'en vont,
font trois p'tits tours et puis reviennent. Heureux qui comme Ulysse
a fait un long voyage...
Echappé de No One is Innocent en 1999, Kemar revient après
trois ans de silence -nécessité quasi vitale - et nous
délivre un album "intimiste mais pas introverti car cela
veut dire que l'on se cache derrière quelque chose ". Caché,
il ne veut plus l'être ; à force d'avoir dit "on"
pendant six ans, maintenant il emploie le "je", adopte un
style confidentiel, réadapte son discours à ce qu'il est
aujourd'hui.
Prénom Betty aurait très bien pu s'appeler Dévoile,
titre du dernier morceau de l'album. Passions révélées,
croyances perdues, résurrection, fuite en avant sont des sujets
redondants dans cet opus. Si l'on peut déceler dans Prénom
Betty un symbole de rupture et de reconstruction, c'est tant dans ses
textes que dans ses mélodies, intelligemment conjugués
dans un souci de cohérence.
La première écoute n'est pourtant pas forcément
évidente. Des bribes de phrases nous percutent d'emblée,
la musique se faisant feutrée, sans fioritures. Tout sauf du
bruit. Il mise sur le poétique, joue avec les mots en étant
tour à tour provoc, exalté, érotique ,
cynique ; et la combinaison avec l'orchestration devient alors irrésistible.
On est loin de la mouvance fusion des No One. On aurait tendance à
dire que Kemar est plus posé... pas sûr. Pour cet album,
il travaille avec notamment Les Valentins, Dominique Dalcan ou Vincent
Segal, mais sa patte est intacte. Equilibre trouvé, certainement
; pondération feinte, assurément. Car même si le
côté politico-revendicatif n'a plus la primeur des paroles,
la protestation est bel et bien présente, peut-être un
tantinet plus réfléchie. Kemar a tout simplement grandi
(nous lui ferons grâce de l'appellation "album de la maturité")
et selon lui, son public aussi "anyway". "J'ai voulu
baisser le volume et je me suis reporté sur le texte. J'avais
envie de quelque chose de palpable à ce niveau là."
On le croit sur parole.
Une porte s'est fermée, la boucle est bouclée mais il
n'a pas perdu la rage. "Je suis juif-arménien, j'ai 25 ans,
je vis dans un pays où transpire une xénophobie ambiante.
J'ai donc deux histoires sur les épaules. Alors j'écris
"revendicatif" et cela devient mon premier gros projet, No
One is innocent. Presque dix ans après, la droite est revenue
au pouvoir et j'ai toujours cette même impression. C'est comme
si les mecs, une fois installés, oubliaient de parler aux gens.
J'aimerais faire un "joli texte" sur ce qui s'est passé
le 21 avril. "
Prénom
Betty marque ainsi le début d'une carrière solo dans laquelle
la prise de repères se fait au fur et à mesure. Si le
travail en studio fut intense, Kemar émet encore des réserves
sur les prestations scéniques. "Au niveau de la conception,
je suis content de cet album car il se tourne vers une chose qui m'intéresse
: l'intemporalité des chansons. Underground, Prénom Betty
ou Oxygene ne se rattachent à rien, il n'y a aucun effet de mode."
Mais il souligne le manque de pêche qu'il ressent en concert.
Les live des No One is Innocent dégageaient une telle énergie
qu'aujourd'hui, il redoute une perte de punch. "Tu as deux possibilité.
Soit tu montes un groupe et tu pètes tout, ou alors tu déboules
seul sur scène et tu chantes gentiment tes chansons. Il y a une
phrase dans la chanson de Bob Marley, "Running away" qui dit
que tu peux fuir, mais tu te feras toujours rattraper. Moi, j'ai essayé
de fuir et je me fais rattraper par la pêche. J'ai besoin de rire,
d'avoir la banane sur scène." Alors il a rebossé
certains titres, afin d'être en osmose avec la scène ;
quand on vous dit que c'est un faux calme...
Forcené, passionné de musique mais aussi de cinéma.
Normal qu'il ai consacré un titre (B.O.) au 7e art, sa "source
d'inspiration number one", et il assure avoir vu tous les films
qu'il mentionne !
Il évoque Le Mépris, "LE film cultissime français",
se remémore les scènes cultes des oeuvres de Godard et
Truffaut, recommande ce qu'il considère comme le plus grand film,
No Man's Land, "comment décrire l'horreur de la guerre avec
humour et prise de conscience. C'est une énorme baffe dans la
tête ce film". Il cite Le Nouvel Hollywood (Peter Biskind
- Le Cherche-midi), bouquin d'un journaliste new-yorkais sur l'histoire
des réalisateurs des 70's et "l'épopée des
grands films de cette époque". Mais il paraît que
si on commence à lui parler cinéma, "ça risque
de prendre des heures"... (ndlr : ça a pris des heures).
Alors forcément, la question inévitable pour finir : et
le cinéma ? "J'ai tourné dans le court-métrage
de Fred Journet et Bernard Schoukroun. Le sujet était l'enfermement
de gens dans un appart, filmés pour un show télévisé
; ça paraît vu et déjà vu mais je précise
que le film est sorti en 2000 alors que le phénomène Loft
Story n'existait pas encore ! "
Titre du court-métrage : Innocent% ... ça ne s'invente
pas.
Mais
la musique reste son premier amour. Boulimique, il annonce déjà
un deuxième album pour octobre prochain.
En attendant, Kemar signe avec Prénom Betty l'un des meilleurs
albums de l'année et certifie un retour des plus prometteurs
à un artiste qui revient de l'Underground pour "se laisser
porter, obéir à la vague le long des courants..."
Par
Julie Marchal (ToutNancy.com)
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